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Revue de presse de Mode d'emploi
9 décembre 2012

"Je hais les nouveaux chômeurs!"

10,3% de la population active en France est sans emploi. Derrière ces chiffres, notre contributeur Didier Houth voit une triste réalité: les chômeurs longue durée comme lui sont "condamnés à le rester".

 

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EMPLOI - "Le chômage est un monde où vous êtes seul au milieu d'une foule de plusieurs millions de personnes. Chacune d'entre elles est potentiellement votre ennemi. S'il y a du chômage, c'est qu'il n'y a pas assez d'emploi pour tous; alors chaque nouveau chômeur est un nouveau compétiteur."

afp.com/Philippe Huguen

 

 Je hais tous ces nouveaux chômeurs qui viennent manger le pain des vieux chômeurs comme moi. Mais pour qui se prennent-ils tous ces jeunes, vieux, hommes et femmes qui par milliers osent s'inscrire sur les listes de Pôle emploi? Alors que nous sommes déjà des millions à demander un emploi! 

Chômeurs de longue durée n'ayant pas vu une indemnisation depuis des mois ou des années, devrait-on laisser croître sans rien dire les listes des nouveaux inscrits? Eux, aux compétences encore fraîches aux yeux d'un éventuel employeur, viennent nous repousser encore plus dans le fond d'une pile de dossiers grandissant comme une tour de la Défense en construction.  

Toujours les mêmes entretiens, mi-menaçants, mi-moralisateurs, mi-encourageants et toujours sans résultat 

Votre dossier commence à se jaunir aux soleils de néons qui tapissent le plafond du bureau de votre conseiller ou votre conseillère. Qui est-il ou qui est-elle? "Est-ce toujours..." "Non, c'est une autre personne qui s'occupe de vous", vous dit gentiment l'hôtesse à l'accueil. Un nom nouveau de plus dans cette liste des personnes qui se sont occupées de vous et qui s'allonge, signe du temps sans travail qui passe. 

Toujours les mêmes entretiens, mi-menaçants, mi-moralisateurs, mi-encourageants et toujours sans résultat, se terminant par un: "A une prochaine fois et bonne chance dans vos recherches." On les reconnaît ces nouveaux, le nez en l'air. Comme si du plafond allaient tomber des réponses à leurs questions.  

Ils s'adressent à vous, qui avez l'air de connaître les lieux, pour se renseigner si c'est bien là qu'il faut attendre. A croire qu'à force de fréquenter ce lieu, il nous imprègne de lui. Dans la rue, les passants qui nous croisent se disent peut-être: "Tiens, voilà un chômeur de longue durée." 

Il y a aussi tous ces jeunes, quelque chose à la main pour y mettre leur dossier qu'ils constituent sérieusement, presque professionnellement. Combien d'entre eux connaîtront ce jour où ce dossier restera symboliquement au fond d'un placard, un peu comme lui ou elle. Aujourd'hui, ils ont encore des attentes, plus tard, elles feront place à des questions, jusqu'au jour où même les questions sur ce que sera demain perdront de leur importance.  

Vous devez vous vendre, vous devez vous battre, si vous voulez survivre.  

Sur un banc de l'autre côté du hall, je reconnais cette femme chinoise. Je connais son accent charmant et son énergie du désespoir qui dévore les quelques phrases françaises qu'elle connaît. Plusieurs fois, je l'ai croisée dans ces réunions où l'on se presse par centaines pour n'être plus que quelques uns, deux, trois dizaines, après le discours d'accueil. Telle une volée de moineaux, ils se sont envolés ces nouveaux chômeurs venant parce qu'ils ont reçu une lettre ou un SMS leur disant de venir. Je l'ai croisée aussi, il y a longtemps, dans ces réunions où on vous explique que c'est à vous de chercher du travail et pas à eux de vous en trouver. 

Oui, vous avez bien entendu le malentendu qui pourrait s'installer, qui coure dans les médias et l'esprit de ceux qui ignorent ce qu'est le chômage. Le chômage est un monde où vous êtes seul au milieu d'une foule de plusieurs millions de personnes. Chacune d'entre elles est potentiellement votre ennemi. S'il y a du chômage, c'est qu'il n'y a pas assez d'emploi pour tous; alors chaque nouveau chômeur est un nouveau compétiteur.  

Vous devez vous vendre, vous devez vous battre, si vous voulez survivre. La peine pour ceux qui ne se sortiront pas de cette île du chômage? Perdre leur droit à indemnité ou la voir réduite à si peu, et être repoussé au loin dans l'ombre. C'est de cette ombre qu'ils regarderont arriver tous ces nouveaux chômeurs, scrutés par des recruteurs à l'affut d'une main-d'oeuvre qualifiée bon marché. Si on vous éloigne dans l'ombre, plus aucune chance qu'ils vous voient. Si vous arrivez à les interpeller, ils vous ignorent ou vous toisent, vous renvoyant à ce que vous êtes, un chômeur de trop longue durée condamné à y rester. 

Alors je hais tous ces nouveaux chômeurs, rêvant du jour où les recruteurs n'en trouveront plus. Ils pourront alors lever les yeux vers ces ombres qui bougent encore au loin. Ils demanderont peut-être: qu'est-ce donc? "Des chômeurs de très longue durée", leur répondra-t-on. Et eux diront: "Ha bon!" 

Par Didier Houth, internaute de L'Express.

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