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Revue de presse de Mode d'emploi
29 octobre 2012

Faut-il tutoyer son patron au bureau ?

Par Gaëlle Ginibrière

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Toute la difficulté consiste finalement à découvrir les codes identitaires de l'entreprise. Crédits photo : Eric Audras/PhotoAlto / Photononstop/Eric Audras/PhotoAlto / Photononstop

 

Très répandu dans la publicité ou les médias, le tutoiement tend à se généraliser dans des environnements de travail plus conservateurs.

«Monsieur, de­vons-nous vous vouvoyer ou vous ­tutoyer?» Posée par l'un de ses collaborateurs en mai dernier à l'occasion d'une des réunions informelles qu'il organise tous les trimestres pour exposer à ses équipes les résultats de la société et leur permettre de l'interpeller sur tous les sujets, la question a d'abord surpris Olivier Gélis, directeur général France du cabinet de recrutement Robert Half International. «Elle était cependant justifiée, car ­certains consultants me vouvoient. D'autres, que je côtoie depuis longtemps et avec qui j'ai des relations établies, me tutoient», reconnaît-il.

Face au développement du tutoiement dans le monde du travail, les cadres ne sont pas rares à s'interroger sur la façon de s'adresser à leur patron. Les différences de statut hiérarchique, d'âge et de sexe constituent en effet toujours des freins à l'usage du «tu». Publiée en décembre 2010, une étude de la Dares, la Direction chargée des études et des statistiques au ministère du travail, montre que les hommes tutoient plus souvent leur chef (73 %) que ne le font les femmes (51 %). «Les hommes tutoient leur chef sans tenir compte de son sexe, alors que les femmes tutoient beaucoup moins souvent leur chef si c'est un homme», notent ses auteurs.

Se rapprocher dans un contexte économique difficile

Toute la difficulté consiste finalement à découvrir les codes identitaires de l'entreprise. La façon de s'adresser à ses collègues fait partie des usages à connaître lorsqu'on arrive dans une entreprise. «Le tutoiement se répand, constate Ricardo Croati, coach de dirigeants, à la tête du cabinet France Training. Jusqu'alors réservé à certains secteurs comme la publicité ou les médias, il est désormais utilisé dans des environnements plus conservateurs. J'ai récemment été étonné d'entendre se tutoyer des personnes travaillant dans une caisse nationale d'avocats.» Ricardo Croati voit derrière ce phénomène une volonté des individus de se rapprocher dans un contexte économique difficile.

Pour Laurent Freysz, aujourd'hui directeur général de Loewe France, une société spécialisée dans les systèmes de divertissement à domicile haut de gamme, technologiques et design, c'est surtout l'univers anglo-saxon dans lequel il a débuté qui l'a conduit au tutoiement. «En anglais, le tutoiement n'existe pas, même s'il existe différents niveaux de langage pour s'adresser à ses collègues ou à son patron. Les gens s'apostrophent par leur prénom, ce qui pousse assez naturel­lement à tutoyer quand on passe au français», ­ob­serve-t-il. De fait, Laurent Freysz tutoie tous ses collaborateurs et les invite à faire de même. Une façon pour lui d'abattre les barrières mentales qui pourraient brider la communication.

Les adeptes du double usage

«Environ 45 % d'entre eux n'y arrivent pas ou ne le veulent pas. Il n'y a de toute façon aucune obligation, car si le tutoiement ne vient pas naturellement, il ne sert à rien de l'imposer», poursuit-il. Dans un environnement où le vouvoiement perd du terrain, il semble parfois persister… au profit des secrétaires. «Bien qu'elles soient de moins en moins nombreuses, elles gardent un statut particulier car longtemps elles ont représenté pour les salariés le lien vers l'éminence grise de l'entreprise. Certains patrons eux-mêmes continuent à vouvoyer en public leur assistante - qui connaît tout de leur agenda et de leurs contacts - pour marquer une distance alors qu'ils peuvent la tutoyer en privé», analyse Marie Rebeyrolle, anthropologue et coach, directrice générale du cabinet de conseil Singulier Pluriel.

La consultante rappelle d'ailleurs que quelle que soit la pratique en vigueur dans une entreprise, celle-ci relève de règles implicites, généralement imposées par la direction. Mieux vaut alors demander à son collègue ou à son patron si l'on peut le tutoyer. Au risque de se voir répondre, comme Olivier Gélis a rétorqué un jour à un interlocuteur avec qui il n'était pas prêt à franchir le pas: «C'est comme vous voulez»!


Le tutoiement peut faciliter la gestion des crises en entreprise

«Tutoiement ou vouvoiement, il ne s'agit que d'un code relationnel. Cela ne signifie pas que les frontières hiérarchiques ont disparu, ni que la convivialité induite par le tutoiement se traduira concrètement dans le mode de management. Code linguistique et pratique managériale ne se confondent pas toujours. En tout cas, il ne faut pas les mélanger», met en garde Marie Rebeyrolle, directrice générale du cabinet de conseil Singulier Pluriel. Et de citer l'exemple d'une entreprise dans laquelle elle est récemment intervenue: tout le monde s'y vouvoyait, tout en développant proximité et entente dans le travail. «À l'in­verse, au sein de l'un des cabinets de conseil où j'ai exercé, le pré­sident imposait le tutoiement à ses 50 collaborateurs. Mais, par ailleurs, la pression du management était très contraignante, l'ambiance déplorable et le turnover à deux ans des consultants frôlait les 70 %.»

Lorsqu'on a compris cela, il est facile de s'accommoder du «tu» pour passer tous types de messages: demander une augmentation, s'opposer aux idées de son patron. À condition toujours d'y mettre les formes. On a parfois pu entendre qu'avec la crise, le «vous» qui installe davantage de distance signait son retour, notamment dans les entreprises qui licencient. Ricardo Croati n'en voit pas la nécessité. «Dans ces moments difficiles, le tutoiement permet au contraire d'introduire une pointe d'humanité. Or, les gens attendent qu'on les respecte», signale-t-il.

 

 

 

 

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